a)  Le grand public -

             je commence par le grand public. Le grand public vis-à-vis du chant grégorien

  n'est  plus  le même qu'autrefois.  Il  y  a  un  grand  public,  comme  il  y a  la  musicologie.

  Autrefois le grégorien était une affaire d'Eglise, uniquement d'Eglise ; on chantait dans les

  paroisses, on en chantait peut-être trop, on en chantait mal, il faut le reconnaître. Dans les

  monastères on le chantait aussi, plus ou moins bien ; aussi nous verrons plus tard cette

  graduation des monastères, cette échelle de valeur. Quand on circule dans les monastères,

  avec un confrère qui circule un peu, nous avons fait un petit catalogue humoristique : nous

  avons un monastère 3 étoiles en Espagne à Silos ; Solesmes c'est autre chose, ce n'est pas 3

   étoiles, ni 4 étoiles, ni 5 étoiles. C'est le gérant de beaucoup de monastères 3 étoiles...

                   Le grand public maintenant existe ; il achète des disques, beaucoup de disques.

             Vous  vous  rappelez peut-être l'effet qu'a fait sur le grand public l'enterrement du

             Président POMPIDOU, où, pendant la quinzaine qui a suivi, les stocks de disques

             de Messe de Requiem furent épuisés, et réimprimés à toute vitesse pour revendre...

             ce fut un succès !

                      Le succès des disques, le succès des concerts ! Aurait-on eu idée de donner des

             concerts de chant grégorien en 1935 ou en 1940 ? Cà ne se faisait pas,  le

             grégorien était dans les Eglises. On ne donnait pas d'audition de chant grégorien,

             très  peu  ;  elles  auraient  même  paru  anormales.  Je  ne  dis  pas  qu'elles  soient

  absolument normales le grégorien ne pouvant être bien chanté qu'en Eglise. C'est
une question que nous verrons à la fin

.              Succès des concerts, succès pas seulement à Fontevraud ou à Sénanque, j'ai là une liste : la Messe de Requiem et de Libera à Metz, trois fois 600 personnes. Reprise les années

  suivantes. Ces gens qui viennent là sont peut-être chrétiens ; ils ont une certaine nostalgie de

  ce qu'ils ont entendu autrefois et qui n'était pas si bien chanté que cela l'est maintenant, il

  faut le reconnaître. Il y a ceux qui sont étonnés, notamment dans la jeunesse ; on était surpris

  nous de ce qu'il y avait de jeunesse à Sénanque et à Avignon. Les deux dernières années en

  regardant dans l'assistance en faisant une estimation nous trouvions de 25 à 30 % de gens de

   15 à 25 ans, c'est étonnant, assis par terre, envoûtés, dans une sorte de recueillement dont

  nous ne pouvons pas nous mesurer la densité ; nous étions étonnés ; le recueillement de ce

  concert, il n'y avait d'applaudissements qu'à l'entracte et à la fin et non pas entre chaque

  pièce pour conserver les chanteurs et les auditeurs aussi dans l'atmosphère qui convient à cette

  musique sacrée.

             Le grand public ce n'est pas seulement chez nous en France,  c'est aussi  en

  Amérique, à Los Angeles par exemple, qui est devenu un centre considérable. C'est la même

  chose en Allemagne, c'est la même chose en Italie, et c'est la même chose maintenant en

   Espagne avec des retours dont nous parlerons tout à l'heure.