c)  L'Église -

             Entrons maintenant dans l'Eglise.

             Dans les paroisses, ce fut le déclin assez rapide à peu près partout en France, un

  peu  moins peut-être dans le midi et cela brusquement, au nom de on ne sait quelle consigne,

  car le Concile de Vatican II n'avait pas dit cela du tout. On n'en tient pas compte, certains

  n'en tiennent pas compte du tout.

              Il   faut   être   très   indulgent   pour   le   pasteur   de   paroisse,   car   les   paroisses   sont    très inégales. Votre cathédrale de Nantes a gardé.  Dieu soit loué,  un bon niveau. On chantait

  aussi bien autrefois du français, de la polyphonie latine ou française que du grégorien. Et dans

  les paroisses très humbles, on ne peut pas tout faire. Il faut bien nous rendre compte que, à la

  suite de ce déclin,  ou précipitant ce déclin,  nous sommes en présence d'un clergé qui,  à

  l'heure actuelle fait ce qu'il peut. Je ne leur veux pas de mal, à mes chers confrères, au

  contraire, je les excuse beaucoup, et quand je vais dans une paroisse je joue sur l'harmonium

  et j'accompagne toute espèce de choses, y compris celles pour lesquelles je ferai moins de

  purgatoire, parce que je l'ai fait en partie dans le sanctuaire.

             Ces prêtres font ce qu'il peuvent, les jeunes surtout, mais ils forment une

  génération complète qui n'a jamais appris un mot de grégorien dans sa petite enfance et n'en

  a jamais chanté dans les séminaires ; ils n'ont plus de grand-messe ; ils apprennent du

  chant français, des ritournelles. Ce qui les ennuie c'est que ces ritournelles changent souvent.

  Nous nous savons "Etoiles des neiges", eux ne le savent pas. Alors les cantiques de cette

  époque sont dans un style d'époque et c'est normal .Les cantiques ont toujours existé  moi je

suis un peu plus vieux que la plupart d'entre vous.    Nous avons eu trois étapes de cantiques ; nous avons chanté les cantiques d'autrefois, n'est-ce pas ? "Je suis chrétien" "Hélas ! quelle douleur"  ; nous avons chanté toute espèce de cantiques qu'on a beaucoup critiqué. C'est

d'accord, c'était critiquable, car ils sont d'époque, ce sera toujours comme cela. L'Eglise laisse faire mais ne promulgue pas ces choses-là. Le pasteur fait ce qu'il peut. Nous avons eu ensuite des cantiques un peu mieux faits du point de vue musical, après la guerre de 1914. Et puis nous avons eu toutes les nouveautés, les fiches nouvelles. Moi j'ai connu les trois, mais je suis entré dans la quatrième parce que c'est la suite de la troisième : On ne sais jamais la longueur du serpent tant que l'on n'a pas vu le serpent tout entier.

      Alors,  j'ajoute à ça les autres que j'ai connus, que je connais, de Bach et de Coudimel (de Bach, ils ne sont d'ailleurs pas de Bach la plupart du temps). Ce style qui est resté au travers des âges, et de Coudimel et de ses collègues, ces choses vigoureuses, bien faites musicalement,  correspondent à une époque,  mais dominent leur époque,  parce que la grammaire musicale en est solide. Tandis que, à l'heure actuelle, quand les confrères nous demandent de critiquer, cela en tout bien tout honneur, en général à table, un jour de 1ère communion ou d'adoration. Les jeunes ne s'entendent pas avec les vieux et ils demandent que je sois arbitre. Alors,  j'essaie d'arbitrer,  mais ils s'entendent sur une chose qui a d'ailleurs ramené des monastères qui avaient tout quitté à une sagesse un peu plus primitive : Ils s'aperçoivent qu'ils ne sont pas tellement spécialistes en musique. On n'invente pas de la musique comme cela, je ne les critique pas ; il y a de bons musiciens qui inventent de la musique, mais celle-ci est parfois trop difficile, car tout le monde n'est pas capable de chanter le psaume fait par Debussy dans le Martyre de St-Sébastien, et tout le monde n'est pas capable de le faire non plus. Mais toute la musique que l'on fabrique est d'époque, elle est du même genre.  Un hymne ressemble à une antienne, un chant d'entrée ressemble à un chant de communion lequel ressemble à un cantique. Tout est de la même veine... de la veine d'époque, et pas très musicale la plupart du temps ; on n'a pas le temps de savoir où est le bout,  on n'a pas  le temps de se le mettre dans la mémoire. Cela a toujours existé dans l'Eglise.  L'Eglise  laisse  faire  le  pasteur,  elle  ne  promulgue  pas,  sauf  une  chose,  elle promulgue le chant grégorien et la grande polyphonie, c'est tout. Elle le répète, elle vient encore de le répéter.

     Alors   soyons indulgent. Il y avait des chorales dans les paroisses ; elles ont parfois été mises à la porte d'autorité : le cléricalisme ! ça existe toujours, ça existera toujours. Moi qui suis du clergé, je le suis, je suis clérical naturellement mais j'essaie de ne pas être cléricaliste ; j'essaie, je ne dis pas que je réussis.

     Les chorales anciennes ont continué, les chorales de cathédrales, votre cathédrale de Nantes, Angers, Rennes qui chante du français, du latin, de la polyphonie, de tout.  Les  enfants  chantent  du  grégorien  beaucoup,  les enfants  d'Angers  chantent seuls  en  latin  l'Alléluia,  à  4  ou  5.  Cela  est connu,  cela est célèbre  ;  c'est extraordinaire.  
                                                                              
Alors , les chorales, il en est né de nouvelles, des itinérantes, des spécialisées en grégorien, il y en a quelques-unes : je cite des noms, il est né ici la vôtre, le Chœur Grégorien de Nantes ; je cite des noms, je fais un petit peu de géographie nous sommes dans la géographie,  le panorama  rapide  :  Saint-Avold,  Metz,  la chorale grégorienne de Paris,  le Choeur Grégorien de Paris, Reims, Bordeaux, Montpellier, Strasbourg. Dans le midi, il y en a aussi, mais ils chantent une foule de choses.

      Alors ces chorales-là, elles sont pleines de bonne volonté, elles acquièrent une

espèce de technique nouvelle, elles sont très avides d'une technique nouvelle et à cause de ce grégorien et de ces techniques nouvelles elles sont aussi entrées dans une piété qui n'existait pas car il faut le reconnaître, et j'en fais mon propre mea-culpa, nous n'envisagions pas bien le  grégorien  il  y  a  30  ou  40  ans.  Nous  étions  trop  intellectuels,  trop  analytiques,  trop

pointilleux,  trop mathématiciens parfois,  ou faussement mathématiciens et nous n'étions pas assez au concert, au contact de ce que l'on appelle les formes grégoriennes, c'est-à-dire l'esthétique  des  formes.  Comme  les  musicologues  ne  confondent  pas  une  sonate  et  une symphonie ou un quatuor avec la marseillaise, nous n'avions pas étudié cela suffisamment et nous ne le disions pas. Et nous ne disions pas non plus la piété suffisamment. L'Introït du jour...  quelque  chose...  mais  maintenant  ce  quelque  chose  est  bien  dépassé,  nous allons beaucoup plus loin que cela...! Les monastères sont avides de cela.